Quand j'anime un groupe en formation, mes stagiaires me parlent souvent du manque d'adhésion des équipes, de leurs difficultés à convaincre. Ils expriment une frustration qui est à la mesure de leur conviction d'efficacité du Lean.
Pour les rassurer, je leur raconte parfois une conversation en face à face avec le responsable d'un laboratoire de développement qui ne voulait rien éliminer de son stockage absolument saturé. Après plus d'une heure, il a fini par accepter de jeter des pots de vitamine C si anciens que le plastique des contenants s'effritait. Ce premier pas entrainant le suivant, 3 jours plus tard 2 tonnes de produit périmés étaient évacués. Non seulement le stockage était sous contrôle strict du 5S, mais toutes les demandes d'achat étaient comparées avec un inventaire juste et facile d'accès, ce qui a significativement diminué les coûts l'année suivante.
Je me souviens de ce Kaizen à mes débuts comme d'une grande victoire, mais je me souviens aussi que c'était force de conviction contre force de conviction.
Maintenant qu'on en sait plus sur les mécanismes à l'œuvre quand une personne doit changer d'avis, je suis encore plus admirative de la beauté et de la logique des percées Kaizen, et beaucoup plus ferme sur les pratiques souvent négligées de conduite du changement.
On pense souvent que les gens ne veulent pas changer d'avis parce qu'ils ne comprennent pas (ou qu'on leur a mal expliqué).
En fait, on comprend mieux de nos jours les mécanismes de la pensée (voir par exemple Antonio Damasio "l'autre moi-même", ou plus simple "Cerveau et psycho"n°56 "de surprises en découvertes").
L'identité d'une personne est constituée par ses connaissances, ses souvenirs, ses croyances, son corps et la santé de celui-ci. Elle est aussi constituée de tout ce que les autres personnes attendent d'elle.
Longtemps, on s'est représenté les pensées et connaissances comme des objets enfermés dans des tiroirs que l'on va chercher quand on en a besoin. On sait maintenant que ces connaissances et idées sont plutôt comparables aux cercles de croissance d'un arbre, qui aurait beaucoup de petites connexions entre elles, et que chaque couche qui se crée intègre l'état émotionnel dans lequel nous sommes au moment où elle se forme.
Nous avons également compris qu'utiliser une idée ou se remémorer un souvenir c'est le revivre, ce qui peut être émotionnellement prenant s’il a été créé dans une période difficile.
Enfin, cette idée réactivée ne reste pas intacte, elle se remodèle au regard de notre état et de nos connaissances actuelles.
Donc penser, c'est utiliser toute notre identité, pas seulement un type de connaissances. Et changer d'avis sur une chose, c'est changer beaucoup de couches, de connaissances et de convictions; et c'est aussi changer de regard sur ce qui a été fait jusqu'à présent.
Avec cette perspective on comprend mieux pourquoi les gens résistent aux changements - pourtant souhaitables - auxquelles l'évolution professionnelle les confronte.
Il ne s'agit pas "juste" de changer de façon de faire quelque chose, il faut changer profondément, remettre en cause des choses anciennes et parfois activer des moments douloureux.
Le Lean, qui place l'humain au cœur des démarches de transformation, tient compte de ces aspects. Les AIC, ou la structure des percées Kaizen sont en fait des méthodes qui prennent en charge cette difficulté de changer, et qui accompagne les collaborateurs et l'entreprise dans la démarche.
Un Kaizen leader qui respecte la méthodologie, un Manager Lean qui tient compte des principes du Lean accomplissent "des miracles" qui sont en fait bien étayés dans la réalité… à condition qu'ils respectent la méthodologie en entier.
Article rédigé par Corinne Oudot-Jacob, Senior Black Belt Lean,
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